Souffles de vie
Lydia Harambourg,
critique d’art et historienne, correspondant de l’Institut de France, Académie des Beaux-Arts
La main de Monique Orsini écrit, dessine, peint sans relâche à l’écoute des pulsions d’un pinceau impatient.
Sa peinture nous émeut par sa véracité. Son monde resurgit d’une mémoire qui garde ses lointaines origines extrême-orientales réveillées sous l’assaut d’expériences visuelles et émotionnelles pour un voyage à l’intérieur de soi. Posons comme acquises ses qualités de lucidité et de pugnacité autant que celles d’abandon de soi pour exprimer le mystère immatériel du cosmos. Dans sa démarche picturale l’élément corporel n’est pas moins décisif que l’élément spirituel. C’est en explorant le vide, cet « espace du dedans » qu’elle rend tangible l’apparition et la dissolution des formes empreintes d’une poésie au rythme musical.
Dans sa série dite de « Changaï » la couleur survient dans le jeu lyrique des lignes et des volutes, des enlacements linéaires d’une calligraphie pré supposée naturaliste et dont les signes déferlent dans une croissance gestuelle ininterrompue. Informelle, dans l’héritage d’une abstraction lyrique que lui reconnaissent ses pairs, la peinture de Monique Orsini échappe à tout modèle restrictif. Sa liberté se régénère de son ouverture sur le monde. L’impatience de remettre chaque jour sur le métier s’accomplit dans une discipline de travail et l’exercice d’un art qui consiste à cultiver son enchantement.
Ainsi l’artiste nous dévoile-t-elle des mondes parallèles.
Des zones sombres et lumineuses naissent des tensions vitales à l’unisson d’équivalences plastiques pour des évocations formelles et colorées de « jamais vu ». Les alizés, les nuages traversés de zébrures, les ressacs marins de la Corse natale, les remous telluriques ou spatiaux comme ces irisations interstellaires, ces nébuleuses qui s’effilochent en stries parallèles dans un brassage cytoplasmique, sont écrits et peints d’un geste ample, rapide et assuré dans la fluidité spatiale et lumineuse d’une peinture de l’immanence.
Plus récemment, la main s’est faite rebelle. Cette désorientation physique a déplacé la dynamique gestuelle mais non la prodigalité de l’élan. Resserré, celui-ci féconde un nouveau cap en accordant une nouvelle liberté pour des gestes nouveaux. Nulle rupture cependant dans un parcours cohérent et unifié par la quête d’une synthèse de l’harmonie et de l’équilibre de l’univers. Il s’agit toujours de juguler l’espace pour en faire l’écrin de beautés indicibles.
Une densité atmosphérique nouvelle confirme une œuvre en suspens. Posée à même le sol, la toile est le réceptacle d’une couleur non délayée, hasardeuse avec ses jeux d’eau. A l’écoute de ce qui se passe sur le support, l’artiste domine le hasard. Une palette festive où les bleus indigo, (la couleur chinoise impériale et sacrée), les roses, le rouge garance, les jaunes, les blancs sont embués de vapeurs prêtes à se diluer dans la lumière, laissant tout pouvoir à l’immensité. Faussement monochromes, les couleurs suggèrent les remous sous-marin dont les taches soulignent l’impression de profondeur et de mouvement. Fluidité et dégradés se rehaussent d’une matière qui fait son apparition. Monde maritime où les métamorphoses aquatiques et lumineuses s’absorbent dans l’effusion poétique de la peinture.
Offert à la rêverie du spectateur, l’abstraction lyrique de Monique Orsini naît de la performance et de l’éphémère pour juguler l’essence de ses impressions intimes. Aucune spéculation esthétique n’altère sa démarche créatrice qui revendique la sérénité d’un regard engagé entre le réel illusoire et un imaginaire tangible.
Rêver le monde, telle est sa nouvelle expérience avec ses peintures inspirées par le jardin de Giverny. Impérieuse, sa féerie florale déclenche des résonances tactiles, des fragrances imaginaires en écho aux gammes chromatiques parfois heurtées, d’une richesse quasi fictionnelle. Peints sous l’emprise de l’imprégnation d’une mémoire colorée, pétales, coroles et labelles jaillissent au centre d’une vision naturaliste.
Ce paysagisme jubilatoire, renouvelé à l’aune d’un monde sensible et d’un monde mental, exprime le souffle vital qui incarne sa peinture dans son apparence abstraite à l’unisson de la réalité pérenne de l’univers.